Avez-vous perdu le sommeil à un moment ou un autre dans la dernière année? Vous n’êtes pas seul. Incertitude quant à l’avenir, couverture médiatique incessante de la pandémie, adaptation rapide de nos modes de vie et de travail, stress financier : tous ces facteurs ont contribué à la mauvaise santé du sommeil. Pour d’autres, à l’inverse, le temps passé à la maison, l’annulation des activités sociales et le couvre-feu ont permis d’améliorer leur sommeil.
La santé du sommeil regroupe des éléments comme la qualité du sommeil, sa durée, sa régularité, et les horaires. Une leçon importante de cette perturbation collective est que la santé du sommeil n’est pas que le résultat de nos choix individuels, mais est aussi liée à notre contexte de vie. Il est crucial de s’intéresser aux facteurs dans notre environnement et dans nos communautés qui influencent notre santé et notre bien-être.
La santé au-delà des choix individuels
Ces facteurs, qu’on peut appeler les déterminants sociaux et environnementaux de la santé, expliquent par exemple pourquoi, en 2012, l’espérance de vie en bonne santé des hommes les plus favorisés était supérieure de 9,7 années à celle des hommes les plus défavorisés au Québec. La même différence chez les femmes s’élevait à 7,5 années. Cette différence entre les groupes les plus et moins nantis témoigne d’inégalités importantes dans la répartition des ressources qui nous permettent de nous maintenir en bonne santé dans le temps. Quelles sont ces ressources? Bien sûr, le revenu et l’éducation jouent un rôle important, mais aussi la qualité de notre logement et de notre quartier, qu’il s’agisse de logements bruyants, d’accès à des installations comme les pistes cyclables ou les espaces verts, ou encore la présence de sources d’alimentation saine et abordable. Vivre proche de sources de pollution, ou le manque de cohésion sociale du voisinage, incluant la discrimination systémique, contribuent également à expliquer les inégalités de santé. L’étude pancanadienne COHÉSION a été mise sur pied en 2020 pour suivre l’effet de la pandémie de COVID-19 sur de multiples déterminants sociaux et environnementaux et leurs conséquences sur la santé mentale et le bien-être. L’équipe explore notamment le lien entre la satisfaction des conditions de logement et la durée du sommeil.
Les conditions de logements dans lesquelles nous vivons et l’accès à la propriété dépendent largement de nos revenus, de notre fortune personnelle et du marché immobilier local. Les moins nantis sont plus nombreux à vivre dans des conditions d’insalubrité et à dépenser une portion significative de leur revenu pour se loger, qui peuvent affecter leur capacité à subvenir à d’autres besoins de base comme se nourrir, acheter des médicaments, ou se chauffer l’hiver. De nombreuses études observent que les problèmes d’insalubrité sont liés au revenu des ménages et au coût du loyer sur le marché privé. Les répercussions de cette précarité résidentielle sur la santé sont bien documentées : maladies respiratoires, stress, troubles de santé mentale, carence alimentaire. L’Organisation mondiale de la Santé va jusqu’à déclarer que « l’accès à un logement de qualité est un préalable à une vie saine ».
Et le sommeil dans tout ça?
Pour comprendre comment la situation de logement est liée à la santé du sommeil durant la pandémie de COVID-19, l’étude COHÉSION a exploré si le fait d’être locataire ou propriétaire et la satisfaction concernant les conditions de logement étaient associés à la durée du sommeil. En s’appuyant sur la littérature scientifique qui révèle un gradient social dans le sommeil, les chercheurs ont émis l’hypothèse que les locataires seraient plus nombreux à souffrir d’un sommeil écourté. Pour répondre à cette question, l’équipe COHÉSION a analysé le profil de 339 adultes (âge moyen 54 ans, 78% femmes), parmi lesquels certains ne rencontraient pas les quantités de sommeil recommandées, de sept heures par nuit.
Les résultats révèlent que les locataires ont deux fois plus de chance de dormir moins de sept heures par nuit que les propriétaires.
Pour tenter d’expliquer cette différence, l’équipe a considéré différents facteurs: l’âge du répondant, le revenu, la satisfaction avec l’espace disponible dans le logement, la satisfaction avec le nombre de chambres et la satisfaction avec les conditions du logement (i.e., Dans quelle mesure êtes-vous satisfait de l’état de votre logement?). Dans ces analyses, seule l’insatisfaction avec les conditions de logement (excluant la taille du logement et le nombre de chambres) augmente le risque de dormir moins de 7 heures par nuit. En d’autres mots, ce n’est pas tant le fait d’être propriétaire ou locataire qui influence la durée du sommeil, mais plutôt le fait d’être insatisfait de ses conditions de logement. Ces sources d’insatisfaction peuvent être diverses: logement bruyant, mal isolé, mal entretenu, qui coûte trop cher, ou qui peut se trouver dans un quartier mal desservi en infrastructures et services.
Selon le recensement, près de deux millions de ménages au Canada ont des besoins pressants en matière de logement, ce qui signifie que leur logement est considéré inadéquat, inabordable ou d’une taille non convenable. Ces résultats de recherche s’inscrivent d’ailleurs dans le contexte d’une crise de logement qui sévit à travers le pays et en particulier dans les grandes métropoles. L’augmentation du prix des propriétés et des coûts de construction, ainsi que la pénurie de logements abordables, contraignent les ménages à faible revenu à occuper des logements insalubres, à défaut de trouver mieux. Les résultats de l’étude COHÉSION suggèrent que ces ménages sont plus susceptibles d’avoir une moins bonne santé du sommeil.
Que pouvons-nous donc retenir? Agir sur les conditions de logement pourrait représenter un levier important pour améliorer la durée du sommeil, et contribuer à notre santé et bien-être collectifs.