La pandémie COVID-19 a produit un important niveau de stress, anxiété et inquiétudes concernant la santé, la perte d’emploi et les problèmes financiers. De plus, cette crise sans précédent affecte le sommeil tant chez les travailleurs de santé que dans la population générale, et ce, à un moment où un sommeil sain est essentiel pour accroître la résilience face aux multiples épreuves de cette pandémie. Cet article vise à souligner l’importance du sommeil dans un contexte de santé publique, particulièrement en période de crise sanitaire comme celle de la COVID-19, et offre quelques recommandations pratiques et appuyées de données probantes pour gérer les difficultés de sommeil durant cette pandémie.
À quel point les difficultés de sommeil sont-elles prévalentes lors de cette pandémie ?
Des sondages auprès de travailleurs de la santé depuis la montée du COVID-19 ont montré des taux très élevés d’insomnie (34 à 36%), ainsi que d’anxiété (45%) et de symptômes dépressifs (50%). Ces symptômes sont particulièrement importants chez le personnel de première ligne directement impliqué avec des patients diagnostiqués ou à risque pour la COVID-19. Des données sur la population générale indiquent également que l’insomnie, un manque de sommeil, et une mauvaise qualité du sommeil sont des plaintes répandues depuis le début de la crise. Ceci est similaire à ce qui a été observé lors d’autres crises majeures impliquant, par exemple, des catastrophes naturelles telles que des tremblements de terre, inondations ou incendies de forêt. Sans surprise, les personnes souffrant de symptômes anxieux ou dépressifs plus sévères rapportent également de plus grandes difficultés de sommeil durant la COVID-19. À l’inverse, ceux qui bénéficient d’un soutien social plus fort et d’un plus grand sentiment d’appartenance rapportent moins de symptômes psychologiques et une meilleure qualité de sommeil.
Pourquoi le sommeil est-il davantage perturbé durant la COVID-19 ?
Tout événement stressant – qu’il soit lié à la vie personnelle ou causé par des catastrophes naturelles menaçant le bien-être psychologique ou physique – est susceptible de déclencher des difficultés du sommeil, et ce, notamment chez les individus plus vulnérables. Bien entendu, les travailleurs de santé de première ligne sont particulièrement susceptibles de vivre des stress importants. Qu’ils soient dus à la pression d’organiser ou de fournir des soins aux patients, à la peur d’être infecté par le virus, ou au fait de faire régulièrement face à la mortces stress peuvent également perturber le sommeil des travailleurs à leur retour à la maison.
Avec la pandémie COVID-19, au moins deux facteurs outre le stress peuvent être en jeu : les effets du confinement imposé et les horaires de travail atypiques. Le cycle d’éveil-sommeil est régulé par la pression homéostatique (c’est-à-dire le besoin de dormir qui augmente avec la durée de l’éveil) et par l’horloge biologique (ce qui nous incite à être éveillé le jour et à dormir la nuit). Cette dernière est contrôlée par l’exposition à la lumière du jour et par plusieurs autres marqueurs de temps sociaux et environnementaux. Ces marqueurs incluent certaines routines, telles que le fait de se réveiller quotidiennement à la même heure avec une alarme, se présenter au travail à une heure spécifique, manger, faire de l’exercice et participer à des activités sociales à des heures relativement fixes au courant de la journée ou de la soirée. En condition de confinement, plusieurs de ces marqueurs de temps sont perturbés par la diminution de nos contraintes à effectuer ces activités à des heures fixes. De plus, la lumière du jour étant le principal facteur régulant l’horloge biologique, une exposition suffisante à cette lumière est essentielle au maintien d’un bon signal de cette horloge. Cette régulation peut être particulièrement perturbée en période de confinement lorsque le temps passé à l’extérieur est réduit. Des études sur le sommeil et les rythmes circadiens en condition d’isolement temporel, où des participants sont isolés du monde extérieur pendant plusieurs jours consécutifs (pouvant dormir et manger à loisir ainsi qu’utiliser la lumière artificielle au besoin, mais sans contact avec le monde extérieur), ont montré que leurs horaires de sommeil se désynchronisent rapidement avec celles du monde extérieur. Les horaires atypiques de nombreux travailleurs de la santé et d’agents de sécurité ayant des quarts de travail à différents moments de la journée sont un facteur de risque important au développement de difficultés de sommeil et de manque de sommeil. De tels problèmes peuvent également être exacerbés par une garde d’enfants et des responsabilités familiales au retour à la maison.
Pourquoi devrions-nous porter attention au sommeil durant cette pandémie?
Un sommeil sain—c’est-à-dire ayant une durée, une qualité et un horaire adéquats—est l’un des trois piliers d’une santé durable, les deux autres étant l’alimentation et l’exercice. Le sommeil joue un rôle fondamental pour la santé mentale et physique. Par exemple, le sommeil est fortement impliqué dans la régulation des émotions et dans les fonctions immunitaires. Une seule nuit blanche peut produire des troubles d’humeur importants et affaiblir les défenses immunitaires. L’insomnie chronique et une perte de sommeil prolongée augmentent le risque de conséquences à long terme pour la santé mentale (dépression, consommation de substance), physique (hypertension, diabète) et professionnelle (invalidité). Nous savons également que l’insomnie et les cauchemars causés par des événements stressants peuvent persister au-delà de la crise pour une longue période de temps. Étant donné ces associations bien établies, il est raisonnable de proposer que ceux et celles développant d’importants troubles du sommeil durant la COVID-19 soient plus à risque de subir des effets néfastes sur leur santé à long terme. Ainsi, protéger le sommeil durant cette crise sanitaire est particulièrement important afin de renforcer la résilience et d’aider à faire face à l’isolement social, à la détresse et aux nombreuses incertitudes dérivant de cette pandémie.
Comment gérer les difficultés du sommeil pendant la COVID-19?
Nombreuses sont les stratégies pouvant aider à prévenir ou à minimiser les difficultés du sommeil lors de cette pandémie (voir plus bas). Une éducation grand public sur la santé du sommeil devrait être la priorité numéro un pour divulguer de l’information générale sur le sommeil (par exemple, sur l’importance de maintenir des horaires de sommeil réguliers, d’éviter les appareils électroniques dans la chambre à coucher, d’obtenir une dose quotidienne de lumière du jour), et ce, même lors d’une période de confinement prolongée. Pour les personnes souffrant d‘insomnie persistante, une aide professionnelle pourrait être requise. Des options de traitement validées scientifiquement pour la prise en charge clinique de l’insomnie incluent des médicaments hypnotiques (somnifères) et la . Les médicaments hypnotiques peuvent apporter un soulagement rapide des symptômes d’insomnie et être recommandés en cas d’insomnie aiguë (brefs épisodes d’insomnie situationnelle). Toutefois, les revues systématiques basées sur les données probantes ainsi que les lignes directrices cliniques arrivent toutes à la conclusion que la thérapie cognitivo-comportementale devrait être le traitement de première intention pour l’insomnie chronique (qui persiste dans le temps). La plupart de ces méthodes comportementales peuvent être adaptées aux besoins de différentes personnes lors de cette pandémie. Elles peuvent également être rendues plus largement accessible grâce à des plateformes en ligne ou de télémédecine.
Stratégies pour gérer les troubles du sommeil pendant la pandémie COVID-19
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Faites du sommeil une priorité
Réservez au moins de 7 à 8 h par nuit pour dormir.
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Gardez un horaire régulier
pour le sommeil, les repas, le travail et les activités sociales. Ces activités sont des repères temporels importants qui aident au maintien et à la régulation de votre horloge biologique.
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Exposez-vous à la lumière du jour autant que possible
(ouvrez les lumières et les rideaux, allez à l’extérieur si possible) pour réguler votre cycle éveil-sommeil et vos rythmes circadiens.
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Évitez
d'utiliser des appareils électroniques (cellulaires, tablettes) dans le lit ou dans la chambre à coucher, ou près de l'heure du coucher.
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Relaxez.
Prévoir au moins 1 heure avant de vous coucher pour vous détendre
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Si le sommeil n'arrive pas dans les 15 à 20 minutes,
changez de pièce et faites une activité calme (lecture), et retournez à votre lit seulement lorsque le sommeil est imminent.
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Réservez le lit et la chambre à coucher uniquement pour le sommeil ou les activités sexuelles.
Ce n'est pas le lieu pour s'inquiéter, résoudre des problèmes ou planifier sa journée du lendemain.
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Levez-vous à la même heure tous les matins,
peu importe la quantité de sommeil. Malgré qu’il soit tentant de dormir davantage le matin, en particulier lorsqu'il n'y a pas d'obligation d'être au travail, il est préférable de se lever à la même heure pour maintenir un horaire de sommeil régulier.
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Sieste ou pas?
Bien qu'il soit préférable d'éviter les siestes pour les personnes avec de l'insomnie, la sieste est bénéfique pour ceux et celles qui manquent de sommeil. Les personnes plus âgées qui n’ont aucun problème de sommeil peuvent également bénéficier d'une courte sieste (15–20 min) en milieu de journée.
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Vivre de courts périodes d'insomnie est une réaction normale.
Gardez en tête que vivre de courts périodes d'insomnie est une réaction normale face à des événements stressants. Cependant, lorsque des difficultés de sommeil se produisent plusieurs nuits par semaine, passez à l’acte et cherchez de l’aide professionnelle pour éviter qu’une insomnie aiguë se transforme en insomnie chronique.
Conclusion
Un sommeil sain joue un rôle essentiel pour faire face de manière physique et psychologique à des événements majeurs, tels que la pandémie COVID-19. L’éducation en matière de santé publique est primordiale pour maintenir la population bien informée de l’importance du sommeil et des saines habitudes de sommeil afin de prévenir ou de minimiser les effets indésirables à long terme. Des interventions à court et à long terme basées sur des données probantes sont également disponibles, ainsi que des stratégies de soutien en ligne.
Pour plus d’informations sur le sommeil et la COVID-19: visitez: « Le sommeil: votre allié pendant la crise liée à la COVID-19«
Résumé
Cet article discute de l’importance du sommeil dans un contexte de santé publique, particulièrement en période de crise sanitaire comme celle de la COVID-19, et offre quelques recommandations pratiques et appuyées de données probantes pour gérer les difficultés de sommeil durant cette pandémie. La COVID-19 et l’isolement imposé pendant la pandémie ont produit stress, anxiété et inquiétudes en lien avec la santé et la peur d’être infecté du virus, la perte d’emploi et problèmes financiers, et l’incertitude quant au futur. L’incidence des difficultés de sommeil a également augmenté de manière exponentielle durant cette crise. Outre le stress et l’anxiété causés par la pandémie, au moins deux autres facteurs contribuent à exacerber les problèmes de sommeil. Premièrement, plusieurs routines quotidiennes ont été altérées, notamment celles de se lever à la même heure chaque matin, de se présenter au travail, de manger, s’entraîner, avoir des contacts sociaux et pratiquer des loisirs à des heures relativement fixes; ces activités représentent des marqueurs de temps qui synchronisent nos cycles de veille sommeil avec les cycles des jours et des nuits. La perte de ces repères, combinée à une réduction de l’exposition à la lumière du jour, essentiel à la synchronisation de l’horloge biologique, contribuent à perturber le sommeil et les rythmes circadiens. Le sommeil joue un rôle fondamental pour la santé mentale et physique; une durée et une qualité adéquate de sommeil permettent de développer une meilleure résilience afin de composer avec des événements de vie majeurs comme la COVID-19. L’éducation grand public est donc nécessaire pour sensibiliser la population à l’importance du sommeil et aux bonnes pratiques d’hygiène du sommeil et ainsi minimiser les conséquences à long terme de la pandémie sur la santé mentale et physique.
Adapté de: Morin, C.M., Carrier, J., Bastien, C. et al. Sleep and circadian rhythm in response to the COVID-19 pandemic. Can J Public Health 111, 654–657 (2020). https://doi.org/10.17269/s41997-020-00382-7 . Pour accéder à une version en lecture seule et en texte intégral de l’article d’origine: https://rdcu.be/b8crX